Sharon Ramdenee, administratrice de SBM Holdings.
🟦Un article confidentiel publié dans «l’express» du 22 mars a révélé que le Chairman sortant d’une grande banque aurait lancé un cinglant «shut the fuck up» à une administratrice, laquelle aurait exigé que cette insulte soit consignée dans le procès-verbal. Aujourd’hui, vous confirmez être cette administratrice, ce qui a suscité de nombreuses interrogations dans les boardrooms. Pouvez-vous nous expliquer le contexte exact de cette altercation ? Était-ce un cas isolé ou révélateur d’un climat plus large de tensions au sein du board ?
L’incident en question s’est produit lors d’une discussion particulièrement tendue sur une question de gouvernance et de procédures liées à l’administration précédente. Bien que je sois tenue à la confidentialité concernant les délibérations du conseil, je peux confirmer que cet échange est survenu dans le cadre d’un débat houleux sur certaines pratiques en place.
De tels moments, bien que regrettables par leur ton, témoignent des enjeux élevés liés à nos responsabilités fiduciaires. Le langage employé était inacceptable et m’a profondément déçue, mais j’ai insisté pour qu’il soit consigné dans le procès-verbal afin de souligner l’importance de la responsabilité à tous les niveaux. Ces tensions sont inévitables en matière de gouvernance, mais elles ne doivent jamais se faire au détriment du respect mutuel. Je dirais que cet incident est l’aboutissement de plusieurs années où j’ai été la voix dissidente à de nombreuses reprises.
🟦Expert-comptable et dirigeante de l’entreprise familiale Agiliss, spécialisée dans l’alimentation, on dit de vous que vous n’avez pas votre langue dans votre poche. Au sein du conseil d’administration de la SBM Holdings, vous auriez été la plus vocale, refusant d’être une administratrice silencieuse. On vous présente comme la «bête noire» du board pour votre opposition à certaines décisions du Chairman et d’autres dirigeants concernant les nominations, les appels d’offres et les privilèges accordés aux hauts cadres. Confirmez-vous ces faits ?
En tant qu’administratrice, mon devoir est d’agir dans l’intérêt de l’institution et de ses stakeholders. Mon rôle est de poser des questions rigoureuses et de remettre en cause certaines décisions lorsque cela s’avère nécessaire ; ce n’est pas une opposition systématique, mais un engagement envers la transparence et la responsabilité. Si être la «bête noire» signifie défendre l’intégrité des processus de nomination, des appels d’offres et d’«executive accountability», alors j’assume pleinement ce rôle ! La gouvernance repose sur la diversité des arguments exprimés, et non sur un consensus silencieux. Rester passif face à des pratiques discutables revient à trahir la confiance des stakeholders.
🟦Depuis le 10 novembre dernier, une nouvelle équipe s’est installée à l’Hôtel du gouvernement. Pourtant, les nominés de l’ancien régime occupent toujours leurs postes, y compris au sein des conseils d’administration de la SBM. Pourquoi ces administrateurs ne démissionnentils pas d’eux-mêmes ?
La démission est un choix personnel. Chaque administrateur nommé sous l’ancienne administration devrait se poser une question essentielle : sa présence sert-elle l’avenir de l’institution ou protège-t-elle seulement certains intérêts du passé ? Par exemple, malgré le mandat du nouveau gouvernement en faveur de l’anti-corruption, certains administrateurs continuent de freiner les réformes visant à renforcer la transparence dans les processus d’appel d’offres visant à limiter les pouvoirs discrétionnaires. Démissionner est un choix moral mais rester en poste exige un alignement actif avec l’éthique renouvelée de SBM. À ceux qui hésitent, je dirai que leadership signifie évoluer, et non s’enraciner.
🟦Vous avez toujours affirmé ne pas être une nominée politique, expliquant que votre nomination repose uniquement sur vos compétences et votre CV. Cependant, ces postes ne font généralement pas l’objet d’un appel à candidatures transparent. Peut-on réellement parler de nomination indépendante dans ces conditions ?
Pour répondre à votre question, je dirai simplement que j’ai été approchée par un ancien administrateur de SBM Holdings, qui était également PPS d’un ministre à l’époque. Je l’avais rencontré dans le cadre de mon opposition à la décision du gouvernement d’imposer des droits de douane sur l’huile comestible – une bataille que j’ai menée pendant huit ans et que j’ai finalement remportée devant le COMESA contre l’administration précédente. Cet ancien administrateur a été impressionné par mes arguments et mes démarches et m’a demandé si j’envisagerais de siéger au sein d’une institution financière. J’ai accepté de soumettre mon CV, et plusieurs mois plus tard, j’ai été sélectionnée.
Je sais que ma nomination a pris du temps précisément parce que je n’étais pas une candidate politique. Mon profil a été retenu sur la base de mes qualifications – je suis expert-comptable, titulaire d’un MBA avec distinction, récemment diplômée d’un doctorat en gestion des affaires. J’étais la candidate la plus qualifiée pour rejoindre ce conseil, qui avait besoin d’une femme pour se conformer au code de bonne gouvernance. Malheureusement, il n’existe pas beaucoup de profils féminins de ce type à Maurice, une problématique que je souhaiterai d’ailleurs aborder prochainement !
Mon indépendance ne se mesure pas au mode de nomination, effectué dans mon cas par le biais d’un processus interne, mais aux actions menées une fois en poste. J’ai contesté des projets au financement opaque, voté contre des candidats politiquement connectés et plaidé pour des audits indépendants.
Cela dit, je pense que Maurice mérite une transparence institutionnalisée. Je propose la mise en place d’un comité de nomination public, à l’image du Financial Reporting Council au RoyaumeUni, où les profils des candidats sont publiés pour recueillir les réactions de stakeholders. L’indépendance ne se résume pas à une question d’origine ; elle implique un engagement indéfectible envers l’impartialité.
🟦Un sentiment de frustration grandit dans l’opinion publique en voyant que certains proches de l’ancien régime, souvent décrits comme des «chatwahs de lakwizine», occupent encore des postes stratégiques dans des institutions comme la SBM et tentent de se rapprocher de la nouvelle équipe pour sauver leur peau. Cette attitude vous choque-t-elle ? Quel message cela envoie-t-il aux citoyens et aux employés de la banque ?
Ce comportement est non seulement choquant, mais il est également destructeur pour la confiance institutionnelle. Les employés constatent lorsque la loyauté personnelle prime sur l’intégrité de l’institution. Par exemple, lorsque des cadres supérieurs contournent les contrôles de conformité pour favoriser certains alliés, cela mine le moral du personnel et la crédibilité de l’organisation.
Le message envoyé aux citoyens à travers cette démarche est que la SBM reste un cercle fermé. Or, la banque doit évoluer vers une ère de professionnalisme. Ceux qui résistent à ce changement se retrouveront du mauvais côté de l’histoire.
L’auto-préservation au détriment du progrès institutionnel est indéfendable. La crédibilité de la SBM repose sur la nomination de dirigeants en fonction de leurs compétences, et non par rapport à leurs relations. Les employés et les citoyens méritent des institutions où la loyauté envers les biens publics prime sur les liens hérités. Les phases de transition ne doivent pas servir de prétexte à la stagnation.
🟦Plus généralement, quel devrait être le rôle d’un administrateur indépendant dans une banque comme la SBM ? Pensez-vous que certains nominés se contentent de percevoir leurs jetons de présence, de boire le thé et de faire entendre la voix de leur maître sans réelle valeur ajoutée pour la gouvernance ?
Le rôle d’un administrateur indépendant va bien au-delà de sa simple présence aux réunions. Il doit analyser les risques des portefeuilles de prêts, remettre en question les politiques de dividendes et s’assurer que les engagements en matière de gouvernance sont réellement mis en œuvre. Malheureusement, certains administrateurs se contentent d’un rôle symbolique. C’est pourquoi je plaide pour des évaluations de performance annuelles basées sur des indicateurs concrets, afin de mesurer leur véritable contribution. Fees should reflect impact, not mere presence.
🟦Comme beaucoup d’institutions publiques, la SBM est perçue comme étant soumise à des dynamiques de clans. Après les dernières élections, une avalanche de lettres anonymes a circulé, dénonçant les pratiques et abus de certains hauts dirigeants de la banque. Cette situation renforce l’image d’une institution gangrenée par les influences politiques. Selon vous, comment la direction actuelle peut-elle redonner à la SBM son aura d’antan et restaurer la confiance des parties prenantes ?
Le clanisme se manifeste de manière subtile : promotions fondées sur des affiliations, approbations discrétionnaires de crédits et suppression d’audits internes. Pour y remédier, SBM doit démocratiser la prise de décision. Par exemple, anonymiser les CV lors des recrutements, faire tourner les chefs de département pour briser les fiefs internes et s’associer à des cabinets internationaux pour des évaluations de risques impartiales. Restaurer la confiance passe également par une responsabilité publique : publier des résumés expurgés des enquêtes internes démontrerait une réelle volonté de changement. La transparence est le meilleur remède contre le cynisme.
Cela dit, reconstruire la réputation de SBM nécessite de démanteler les processus décisionnels opaques. Les allégations anonymes devraient être examinées par des canaux officiels et protégés, avec publication des conclusions aux parties prenantes. Le renforcement des protections pour les lanceurs d’alerte, la dépolitisation des nominations et la publication des résultats d’audit prouveront notre engagement envers la transparence.
🟦La SBM a été marquée par plusieurs scandales financiers ces dernières années, affectant sa réputation et sa solidité. Pensez-vous que la culture de complaisance et de favoritisme au sein de la direction a contribué à ces dérives ? Quelles réformes sont nécessaires pour garantir une gouvernance bancaire plus rigoureuse et éthique ?
Oui, la complaisance et le favoritisme ont affaibli les contrôles internes. Pour y remédier, il faut aller au-delà des simples politiques et appliquer des mesures concrètes : lier les bonus des dirigeants à des critères de gestion des risques à long terme, intégrer des auditeurs judiciaires dans les départements à haut risque et mettre en place une ligne d’alerte éthique gérée par un organisme externe.
🟦Plusieurs experts estiment que les banques d’État comme la SBM doivent revoir leur modèle de gouvernance pour éviter les crises à répétition. Seriez-vous favorable à une réforme en profondeur de la composition du board, avec des nominations basées sur des critères stricts de compétence et d’indépendance plutôt que sur des considérations politiques ?
Absolument. Les banques publiques doivent adopter des modèles de gouvernance alignés sur les meilleures normes internationales. Les nominations devraient se faire via des appels à candidatures ouverts, un processus de sélection mené par des panels indépendants, et une divulgation publique des qualifications des candidats. Des mandats limités dans le temps et des quotas de diversité permettraient également d’éviter que les conseils d’administration ne soient pris dans des cycles politiques.
Je soutiens un modèle méritocratique, à l’image du cadre de gouvernance de Temasek à Singapour, où les candidats passent des entretiens rigoureux évaluant leurs compétences techniques, leur jugement éthique et leurs antécédents en matière de conflits d’intérêts. De plus, l’instauration d’une durée de mandat maximale (par exemple, huit ans) éviterait toute forme d’enracinement. Les considérations politiques n’ont pas leur place dans la gouvernance bancaire : seule la compétence doit primer. Mettons en place un registre public des qualifications des candidats aux conseils d’administration afin de restaurer la confiance des parties prenantes.
🟦Enfin, avez-vous déjà envisagé de démissionner du conseil d’administration pour dénoncer des pratiques contraires aux principes de bonne gouvernance ? Si oui, pourquoi ne l’avez-vous pas fait jusqu’ici ?
Démissionner reviendrait à abandonner le combat. Mon rôle est d’exiger des réformes de l’intérieur et de veiller à ce que la SBM adopte des standards de gouvernance exemplaires. Je partirai lorsque l’institution aura atteint ce niveau – pas avant.
Ma présence me permet de plaider pour des réformes de l’intérieur. Partir reviendrait à laisser le champ libre à ceux qui résistent au changement. Je reste déterminée à utiliser mon rôle pour faire évoluer la SBM en une institution dont Maurice pourra être fière. Démissionner signifierait abandonner le combat pour la réforme. Démissionner, c’est renoncer. Ce n’est tout simplement pas dans ma nature. Comme dirait JFK, «One person can make the difference…»